Chaque mois, l'un des Team Leaders de l'agence JVWEB se prête au jeu de l'interview Expert. Cette semaine, nous rencontrons Lucas Bifante, Team Leader au sein du pôle SEA.
Bonjour Lucas, avant de commencer, peux-tu nous présenter rapidement ton parcours ?
Issu d'un parcours très technique dans la programmation (développement applicatif, base de données, ...), je me suis ensuite orienté vers le marketing digital.
Cette double compétence est, aujourd'hui, un plus dans mon quotidien pour la prise en main des outils, l'évolution rapide des technologies et les moments plus techniques que marketing - comme, par exemple, la mise en place de tracking.
J'ai intégré JVWEB en tant que stagiaire, puis, au fur et à mesure des missions et des années d'expérience, je suis arrivé à un poste de team leader SEA.
Ces derniers mois, il semble que Google ait réduit le nombre de données partagées avec les annonceurs via les différents rapports. Peux-tu nous faire un point sur la situation ?
A mon sens, voici les changements qui ont le pus d'impact sur la gestion des campagnes Google Ads :
- La limitation de la visibilité des termes de recherche dans les rapports, à hauteur de 30%. On perd la visibilité sur les termes où les annonceurs paient des clics. Ainsi, ils ne peuvent pas visualiser si oui ou non ces clics sont pertinents, voire tout simplement analyser des nouvelles tendances et comprendre leur marché.
- La perte de visibilité totale des termes de recherche sur les campagnes Smart Shopping et l'impossibilité d'y ajouter des mots-clés négatifs.
- Les types de campagnes packagés, dont il faut cibler plusieurs réseaux sans avoir la possibilité de prioriser la diffusion, tels que Universal App Campaign, Discovery, Smart Shopping, Smart Display. Ce sont les campagnes avec des rapports pour analyser la diffusion limitée dont la performance est "garantie" par les stratégies d'enchères de Google.
Nous vivons dans un monde où la data se multiplie à l'infini. N'est-ce pas paradoxal de prendre le contre-pied en en limitant l'accès ? Selon toi, comment peut-on expliquer cette prise de position de Google Ads ?
La multitude des signaux semble être la cause la plus pertinente. Heure de la journée, jour de la semaine, audiences, zones géographiques, la requête, l'annonce, l'OS, les appareils, l'enchère, ... une multitude de signaux dessinant une multitude de parcours d'achat rend l'analyse de plus en plus difficile par des humains.
D'un autre côté, on peut aussi se poser la question d'une réduction du contrôle pour maximiser les profits pour le géant américain dont la plus importante part de ses revenus est générée par la publicité.
La gestion automatique des inventaires et des enchères est une potentielle aubaine pour combler les manques de diffusion à certains moments moins profitables.
Enfin, l'outil devient de plus en plus accessible. En quelques clics, on peut lancer une campagne diffusant sur plusieurs réseaux avec un objectif de rentabilité. Cela ouvre la porte à de nouveaux marchés pour poursuivre sa croissance.
Ces évolutions ont-elles un impact sur les performances des campagnes SEA ? Ou, plus largement, pour les annonceurs ?
Généralement, les stratégies d'enchères ont de bonnes performances ainsi que les campagnes Smart développées par Google. Le problème est lorsque les performances ne sont pas atteintes, là, il est très difficile de comprendre pourquoi et d'atteindre l'objectif souhaité.
Aujourd'hui, il est impossible de dire à quel niveau seraient les performances si on avait plus de visibilité sur les ciblages sélectionnés automatiquement dont il nous est impossible de savoir si c'était un pur gaspillage ou une réelle opportunité business.
Quel est l'impact concret, quotidien sur la gestion des campagnes Google Ad pour les Account Managers ?
Sans possibilité de contrôle de ces changements, nous nous soumettons à une veille constante des nouveautés et réalisons des tests en continu. L'objectif étant de comprendre comment fonctionne la machine pour en tirer le meilleur.
Nous devons faire matcher la stratégie de nos clients avec les contraintes et opportunités créées par Google avec ses outils.
Enfin, il nous est aussi nécessaire de monter en compétences sur de nouveaux métiers : UX, création de visuels et de vidéos, créer des landing pages, ... afin de nourrir au mieux l'algo et booster les taux de conversions.
Quelles actions avez-vous mises en oeuvre chez JVWEB pour pallier l'accès à ces données ?
Nous avons mis en place diverses actions très rapidement. Comme, par exemple,
- Le développement d'une offre de création de visuels et de vidéos
- Un outil interne permettant la surveillance des performances pour agir directement sur les campagnes, en cas d'incohérence avec les besoins de nos clients
- Le test des nouvelles fonctionnalités et le partage des enseignements en interne pour bien comprendre l'algo et son fonctionnement
- L'intégration d'outils externes pour analyser en profondeur les champs sémantiques afin de pallier le manque de visibilité des termes et exclure proactivement
- Le développement de compétences internes et de partenariats pour développer des landing pages performantes
Doit-on considérer que les algorithmes ont toujours raison ?!
Difficile à dire pour un humain qui ne prendrait en compte que quelques signaux versus la machine qui en prendrait des millions.
Je dirai que tout dépend à qui l'algorithme doit servir et répondrai à cette question par une autre question :
les algorithmes de la plate-forme ne sont-ils pas conçus pour maximiser son retour sur investissement à elle avant celui du partenaire ?!
Outre les restrictions de Google Ads, l'usage des cookies tiers est amené à évoluer. Comment l'anticiper pour garder la main sur ses campagnes ?
Aujourd'hui, élément central pour mesurer les performances de ses campagnes, Google avait annoncé en début d'année qu'il allait supprimer progressivement les cookies tiers.
Les acteurs principaux font évoluer les outils, comme Google Analytics 4, qui utilise encore les cookies mais aussi l'intelligence artificielle, grâce aux utilisateurs connectés à leurs comptes Google, ce qui permettra de combler les manques de data.
Si on se recentre sur Google, la potentielle alternative aux cookies serait les données de ses milliards d'utilisateurs, issues des nombreuses plateformes et outils dont il est le détenteur : Google, Youtube, Android, Chrome, Maps, Gmail.
Selon toi, doit-on se préparer à gérer des campagnes "à l'aveugle" dans les mois, les années à venir ?
Complètement à l'aveugle je dirai non ; mais, avec de moins en moins de données et de contrôle, oui certainement !
Le métier d'account manager n'a pas fini d'évoluer et nous devrons composer avec ces contraintes mais aussi trouver de nouvelles opportunités de développement pour nos clients.
Certes, Google prend un poids important dans l'acquisition mais de nouveaux acteurs peuvent faire leur apparition permettant de redistribuer les cartes et réduire la position dominante de Google. Comme, par exemple, Apple qui développerait son propre moteur de recherche, annoncé ce dernier trimestre 2020.
Comment cette évolution est-elle perçue par les annonceurs et les pro du SEA ?
C'est plutôt mal pris car ces décisions sont toujours imposées. De plus, c'est lié à un investissement qui est souvent conséquent pour les annonceurs alors que ces décisions sont actées par une entité qui devient juge et partie.
La décision concernant les termes de recherche a été très rapide. Du jour au lendemain, j'ai expliqué à mes clients qu'on ne voit plus jusqu'à 30% des termes dont ils ont payé les clics, la pilule était dure à avaler.
Côté pro du SEA, on perd de plus en plus le contrôle et lorsque cela ne va pas, il devient plus difficile de comprendre les causes de contre-performances lorsque le machine learning est présent. Même nos contacts chez Google ont parfois du mal à expliquer les raisons, on a souvent des retours génériques qui reprennent les messages des "bonnes pratiques" pro-machine-learning.
Selon toi, comment cette dynamique va-t-elle transformer ton métier à l'avenir ? Quelles seront les compétences indispensables d'un bon Account Manager ?
Cette dynamique va imposer de prendre encore plus de hauteur sur l'audience que l'on cible afin de mieux la comprendre, connaître spécifiquement ses besoins, son parcours. Ainsi, les capacités analytiques seront primordiales pour aiguiller les annonceurs dans la multitude de signaux afin de donner un sens, une stratégie.
Il sera aussi nécessaire de comprendre les algorithmes, de connaître les données qu'ils préfèrent, comment ne pas les brusquer, savoir les influencer pour en tirer le meilleur.
Il faudra développer de nouvelles compétences et de nouveaux partenariats pour mieux intégrer les modèles prédictifs aux stratégies de nos clients.
Enfin, il faudra, plus qu'aujourd'hui, adopter un mindset de test & learn constant, faire nos propres expériences et nous constituer de solides enseignements pour comprendre au mieux chaque ciblage, chaque format afin d'en tirer le mieux profit et de ne pas passer à côté de nouvelles opportunités.
Enfin, as-tu un dernier conseil à nous partager sur le sujet ?
Il ne faut pas être trop craintif avec le futur. Chaque changement ouvre de nouvelles opportunités.
Une veille active est centrale pour voir venir les évolutions et s'adapter.
Un grand merci à Lucas d'avoir pris le temps de partager son expertise SEA avec nous. Vous pouvez le retrouver directement sur LinkedIn de JVWEB.